Les rêves sont-ils vraiment faits pour être réalisés ?

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C’était bel et bien la dernière fois. Ce centre ville, ces bruits , ces gens qui courent le regard vide, qui hurlent la bouche pleine. Tu m’as vue naître, grandir, souffrir, aimer ; tu n’as pas trop changé, mais tu as fait tes progrès, tu as toujours été belle et tu le resteras. Toi, tes arènes, tes férias, ton accent et tes monuments. Pourtant je dois te quitter, toi et tes copines les villes, toi et tes métropoles. C’est trop me demander de rester te contempler, vider tes boutiques, respirer ton air saturé de cons sous ton ciel bas. J’ai cru aujourd’hui qu’il y a avait un bel événement en ton sein : il y avait des lumières, du bruit, des sirènes, je voulais faire la fête. Mais non ce n’était que des gens en colère et d’autres qui essayaient de les faire taire.

Tu sais, je ne peux plus entrer dans tes prisons de consommation, je n’y fous plus un pied, je reste dehors et je pense à mon île, à ces vastes espaces et à ces gens qui les peuplent. Tu étais parfaite pour mes 20 ans, quand je flânais dans tes bars et librairies entourée de copains et copines qui aujourd’hui n’en sont plus. Avec toi je n’ai jamais été aussi seule, mais là-bas la bonté et la beauté m’entourent. Alors comment pourrais-tu rivaliser? De toute façon tu ne pourras pas, mon choix est fait. Je veux vivre sans rien, et toi tu m’en demandes trop. Tes entreprises, tes patrons aussi. Il faut toujours être la meilleure, bien présenter, être bien fringuée, bien coiffée. 

Mais c’est fini tout ça. J’étouffe. Je veux retrouver mon île, les arbres fleuris tout au long de l’année, les odeurs des plantes, les accents îliens, le ukulélé, la simplicité ! Voilà c’est ça. Tu m’es devenue trop compliquée, comme toutes les autres villes. Trop de panneaux publicitaires, trop de voitures, trop de gens qui errent et se perdent, qui achètent pour rendre la vie plus supportable. D’ailleurs à quoi pensent-ils? Et si moi j’arrive à changer de vie, à suivre ma profonde intuition et à réaliser ma vraie nature, je pourrais peut-être les aider ensuite ? 

Je te quitte sans regrets, c’est pas ta faute mais c’est la mienne. J’ai essayé, mais aujourd’hui c’était trop pour moi. Je te quitte mais je n’oublierai pas d’où je viens, de ton ventre romain. Merci de m’avoir tenu la main, mais je mérite de meilleurs lendemains. 

C’est donc ça le destin ? Il vous embarque en moins de 24h pratiquement sans prévenir, pour vous amener droit vers ce que vous avez toujours espéré. Vous l’avez voulu pourtant, vous y avez cru secrètement, vous avez lutté votre vie durant, et voilà qu’un beau jour il faut y aller. Faut-il être prête quand on s’apprête à partir ?  Et puis comment peut-on s’échauffer face à l’imprévu, face au plus grand risque de notre vie, au virage le plus serré de notre destinée ? Car on le sent et on le sait, que c’est lui. Ce moment indécent, celui qui fera tout basculer, le bon comme le mauvais. Et pour moi il est là, c’est demain, c’est dans quelques heures.

Je n’ai jamais été aussi proche de renaître de mes cendres, d’être remise en vie. 

Fille des îles je vous dis, depuis gamine cette obsession de corps dénudé et de peau bronzée. Ces images de lagons et de palmiers que j’enfermais sous mes paupières, sans que personne ne le sache. J’ai avancé trop longtemps dans une direction qui n’était pas la mienne, me détruisant à chaque intersection. Pourquoi là-bas? Pourquoi si loin ? Je veux des réponses et j’y vais enfin.

Ces trois dernières années je me suis faite silencieuse et rare, comme un nouveau départ qui se prépare. J’ai été taiseuse et oublieuse. J’ai tout refusé, j’ai tout nié, j’ai tout refoulé. J’ai fui si vous voulez. Les hommes, les jobs, les contraintes, la sédentarité, la facilité, le confort. J’ai vécu comme je ne l’avais jamais fait, seule et invaincue. Si rien n’a fonctionné ici, c’est que tout est là-bas, ou ailleurs. Mais pas ici, pas comme ça.

Aujourd’hui ma vraie vie m’appelle, elle m’a assez attendue. Je cours vers elle les bras ouverts, laissant tout derrière moi sans regrets. Loin de mon pilier, de ma famille, serais-je à la hauteur de mes ambitions ? Partir seule se réaliser, je crois que ce n’est pas une chance, c’est un choix. Difficile mais salvateur. Je pars pour une durée indéterminée qui je l’espère durera toujours, même si rien n’est moins sûr. Ce qui est sûr par contre c’est que je vais me reposer du cours du monde, et enfin entrer dans la ronde.

Tahiti, six lettres coupables de faire rêver un monde entier. Six lettres pour te définir alors que l’alphabet entier n’y suffirait pas. Je sais, je tarde à venir te retrouver, pourtant tu m’appelles depuis mes dix ans. Alors pourquoi j’ai si peur, dis-moi ? La Polynésie, ton berceau tout de bleu vêtu, reine du Pacifique, archipel aux yeux pleins d’eau, m’attire comme rien n’a jamais su le faire. C’est d’abord l’enfant qui y songeait, tapissant ses rêves de lagons et de palmiers. L’ado s’est vue tatouée de tes symboles dès l’âge autorisé, et l’adulte, pleine d’amour et d’intentions, jongle aujourd’hui entre raison et intuition. Je suis tombée amoureuse de toi sans te connaître.

Je t’ai imaginée, fantasmée, désirée, pour finir par te rencontrer. Mais c’est toi que j’ai aimée au premier regard, toi que j’ai choisi pour faire naufrage après avoir tout traversé. Tes vagues sont venues lécher mon corps bronzé comme pour le réparer, tes habitants m’ont entourée de douceur et décorée de fleurs, ton lagon a vu danser nos ombres sous ta lumière bleue. Tu es au bout du monde, mais si proche du mien ; perdue dans l’immensité tu fais pourtant résonner tes accents chantants jusqu’ici. Ici parlons-en. C’est ton pays, ce pays dans lequel toi et moi nous nous perdons, ce pays qui souffre et qui lutte, ce pays qui ne semble plus avoir de but sinon celui de rester debout. Ce pays qui a de la fièvre mais qui pourtant meurt de froid. Je ne viens pas pour fuir mais pour retrouver le goût, celui de la liberté et de l’humanité ; pour assouvir mon désir ardent de vivre pleinement, pour apaiser mon corps incandescent. 

Tu ne m’as rien promis et c’est bien ça le problème, si près du but je recule, plus je me rapproche de toi et plus ça brûle. Je connais ta réalité, je ne veux pas être une expatriée de plus venue ronger tes terres sans raison. Je veux retrouver ma maison, je suis celle qui sait pourquoi elle vient, celle qui a tout fait pour en arriver là, celle qui s’est délestée de la pesanteur du matériel et du conventionnel. Alors donne moi la force de nouveau te boucler mes valises, lourdes de trente-trois ans d’attente. Dis-moi que le bout du chemin est dans tes mains. 

Dès lors, plus aucun repère spatio-temporel, comme l’impression d’être coupée du monde qui bruit, les priorités ne sont plus les mêmes, le rythme et l’ambiance de mes journées ont pris une tout autre tournure. Ne plus savoir ce qu’il se passe là-bas, ne plus le vouloir même, et plonger cahin-caha dans l’euphorie de cette île que j’appelle mienne. 

Depuis, tout n’est qu’adaptation et résilience, aujourd’hui c’était dur, mais demain je prendrai de l’avance. Les réveils en sursaut au milieu de la nuit, le cœur battant, quand je réalise que je suis seule au bout du monde. Mais seule je ne le suis pas, ils sont tous là à m’aider comme jamais cela n’aurait été possible ailleurs. Encore des changements de maison, toujours pas de clés ni d’adresse, chaque nuit dans des lits différents, mais chaque matin est un émerveillement. Les valises gisent toujours au sol, mon corps et mon esprit crient au repos, ma maman répète : « t’as pas choisi la facilité, mais tu l’as choisie et assez pleuré ta Polynésie ». Alors oui j’y suis, non ce n’est pas facile, mais qu’aurait été ma vie dans un schéma classique… qu’aurait été ma vie avec ce manque en moi? 

Ici je brûle d’envie et de désir ardent, ces mêmes émotions qui font gonfler les veines des garçons. 

Mon errance est précieuse, ma solitude fait des envieuses, et je sais qu’elle me mènera là où je dois être. Rien n’est fou si j’écoute ce qui vibre, je ne veux pas un cœur qui marche mais un cœur qui sprint. 

Une fois la course terminée, la stabilité retrouvée, et mes valises posées, je trinquerai sous un cocotier au nom du tiaré Tahiti. 

Un peu plus de trois semaines que je suis là, au paradis, comme ils disent, pour la deuxième fois. Certains penseront que c’est de la chance, mais non, c’est pas seulement ça. Le paradis a un prix, celui de l’éloignement, de la solitude, de l’enracinement sans certitude ; ce n’est pas le fruit d’un caprice mais celui de tant d’années de réflexion, tant d’années d’échec, le résultat d’une visualisation ancrée depuis mes douze ans. Je crois que c’est le plus gros défi de ma vie. Seule, tout est plus décuplé, personne sur qui vraiment se reposer à part soi-même. Ça alors, c’est un bel exercice que de réaliser ses rêves. Personne à qui s’en prendre si ça foire, personne à qui en vouloir de ne pas y croire, mais aussi personne à remercier si c’était mon plus gros succès. Ah si, ceux qui m’aident tant ici. Aucun compte à rendre, si ce n’est à moi-même. Alors souvent je me perds à l’intérieur, je me félicite autant que ce que je m’en veux de ne pas avoir l’avoir fait avant, de ne pas y croire malgré l’ardeur que j’y mets.

Depuis trois mois c’est un marathon, les démarches, les prises de décisions, les initiatives, les choix à faire, si loin de tout. Les journées où il n’y a personne à contacter en France car le décalage, ces mêmes journées où chaque action est une victoire. C’est un spectacle, le rodage. 

Si vous saviez comme c’est beau, c’est l’ailleurs comme un meilleur, c’est moi face à mes peurs.

Je dors d’un sommeil de skipper. Je me réveille au chant des coqs, le temps passe et file, je suis enfin sur la bonne file.

Le temps n’a plus la même saveur ici, tongs aux pieds. Le bruit des vagues partout où mon esprit divague. Les tatouages en héritage. Des couchers de soleil à n’en plus dormir, le bruit des cocos qui tombent, la lumière profuse, les oiseaux qui pépient, les tahitiens, les coffres pleins de chiens, les fruits divins, les sourires à pleines dents, les bons cœurs et les odeurs des fleurs.

Je souhaite à tous de découvrir la Polynésie. Non pas à tous, seulement à ceux qui la méritent.

S’éveiller, s’élever, s’émerveiller, s’évader…
Je réalise que ça fait presque trois ans que j’ai arrêté de « travailler » pour suivre mes rêves, trouver mon chemin, ma voie et m’y engouffrer.

Presque trois ans que je ne suis plus les normes sociétales, au sens de suivre et d’être d’ailleurs. J’ai tout quitté pour tout retrouver, j’ai abandonné le sûr pour l’incertain, j’ai oublié le confort pour trouver la difficulté, la prise de risques, l’enfer des décisions.

Samedi j’ai été invitée à ma première bringue Tahitienne (une institution ici). J’ai préparé le poisson cru au lait de coco avec eux, sur fond de musique locale, j’ai mangé, parlé, appris le tahitien, essayé tant bien que mal de cacher mon émotion, mon immense gratitude.

Ils ont bu, dansé, chanté, d’autres sont arrivés, on s’est intéressé à moi à chaque instant. Si j’avais faim, si j’avais soif, si j’étais heureuse ? Comment c’est alors la France? Tu aimes ici ? Allez viens je t’apprends à danser. On fait ça avec le coeur nous tu sais T’es un peu comme nous finalement. T’as la même couleur de peau. 

La nuit est tombée et j’ai regardé le ciel étoilé, on était tous autour de cette table, il faisait si doux… les tiarés et libéraient leur odeur. Il y avait encore ces chants tahitiens dans la basse, je les regardais tour à tour rigoler, crier de joie, danser ensemble, partager tout ce qu’ils avaient. Un tel respect pour l’autre, une telle bienveillance. Venez et vous comprendrez, qu’ils disent.

Alors j’ai compris : je suis faite pour vivre avec eux.

Partir sur une île, c’est quitter la vraie vie ou la rejoindre ?
S’expatrier, laisser s’éteindre ce qu’on a été, oublier d’où l’on vient,
c’est être lâche ou courageux ?

Trouver son foyer en étant loin du sien, comment justifier cela ?

Tant de questions, et tant d’efforts pour déconstruire ce que je prenais pour vrai. La vie que j’ai vécue, et celle que la société européenne nous impose, n’est pas la vie.

Je suis ici pour marcher pieds nus, pour vivre avec peu en ayant tout, pour prendre de la hauteur et changer de point de vue.

Je suis ici pour laisser se consumer les heures, pour ne plus avoir peur du temps qui justement se consume.

Je suis ici pour les connaître, pour tout apprendre d’eux, pour être meilleure, et faire de la nature mon cadeau le plus précieux.

Je voudrais leur dire que ce sont eux qui ont raison, quand au contraire ils pensent être plus mauvais que nous. 

Je voudrais leur dire que ce sont eux les plus beaux, et  nous qui devrions nous faire petits.

Ils font encore tout de leurs mains, parfois pendant des mois, sans rien attendre en retour que de montrer aux yeux du monde la richesse de leur culture.

Que faites-vous maintenant de vos sacs Zara, de vos paniers Amazon, de vos journées sans sourire, de votre dressing bien plus grand que votre talent?

Julia Urso

1 réflexion sur “Les rêves sont-ils vraiment faits pour être réalisés ?”

  1. Dominique Sicart

    Ma petite Julia devenue si grande ….. Si tu savais à quel point tes mots me touchent !!! La petite fille de dix ans qui rêvait de son île sans que je le sache , assise devant moi sur les raides chaises de notre sombre classe …. je la revois si bien !!!
    Papa hier soir nous a longuement parlé de toi , avec tout l’Amour d’un Père aimant , fier de sa si belle fille , angoissé de la savoir si loin , heureux de la voir réaliser ses rêves , triste de ne pas la savoir pourtant pleinement heureuse loin des siens , mais confiant dans sa capacité à accomplir son chemin avec persévérance ….
    Je suis fière aussi du parcours de mon ancienne petite élève , réfléchie , appliquée , attentive aux autres , joueuse mais sans trop , souriante mais avec réserve …..
    Tu es une merveilleuse personne Julia , par ta sincérité , tes enthousiasmes , ta lucidité , mais surtout ton Amour de la vie ….
    Tes récits sont enchanteurs …. tes interlocuteurs sont-ils conscients de leur chance??? Tu es pour eux le plus talentueux des porte-parole ….
    Je vais suivre ton cheminement avec toute l’Attention que tu mérites …..
    Je suis heureuse de t’avoir re-découverte ….
    Et je t’embrasse avec toute mon affection .
    Dominique

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