Découvrir l’Île d’Yeu hors saison, le temps du rêve et de la flânerie

C’est sur cette île préservée, presque taiseuse, au large des côtes vendéennes, que j’ai décidé de partir seule. Tout me poussait à larguer les amarres, j’avais besoin d’échapper à la vie, de trouver un port d’attache. J’avais dans l’idée un coin reculé, où seul le vélo se pratiquait, car à vélo comme dans la vie, il faut tenir l’équilibre et avancer. Un climat doux et l’océan qui se balance ; du bleu, du vert et du blanc, et les éléments qui dansent. Des pêcheurs, des barques, et des heures silencieuses.

J’avais peu entendu parler de cette île, je savais juste qu’elle se méritait, car elle est difficilement accessible : les caprices des marées, le coût, la logistique, etc. lui donnent malgré elle ce côté intouchable. Je suis d’ailleurs gênée de vous en parler, tant je voudrais qu’elle reste cachée, secrète. 

Finalement, on aurait vite fait d’abandonner, ce que j’ai fait au début ! Méditerranéenne de souche, l’Atlantique me semblait loin, froid, et impraticable. Mais ce havre de paix m’a interpellée, j’avais envie de connaitre son histoire, son ADN. 

Sur le bateau, ce matin du 04 septembre, depuis l’embarcadère de Fromentine, les vacanciers et retraités, les Nantais et les Islais, ainsi que les marins et les parisiens se mélangent et ne font plus qu’un. Les passagers improvisent une partie de mots fléchés, chacun participe à voix haute, et avec brio. Les idées fusent, les bravos et les applaudissements rythment la traversée.

Port-Joinville

Après 1h d’avion, un bus de l’aéroport à la gare de Nantes, 1h20 de navette, et 40 min de ferry, me voilà débarquée sur le quai de Port-Joinville. Située dans le Golfe de Gascogne, l’île d’Yeu fait partie des 15 îles du Ponant, baignées soit par La Manche, soit par l’Atlantique.

C’est de suite cette indolence insulaire qui me saute aux yeux. Il n’y a pas foule, pas d’agitation citadine, pas de cris. Appâtées par de grands signes de la main, comme un discours de bienvenue, des familles retrouvent leurs proches ; des amis s’attendent. 

L’euphorie d’été terminée, le répit gagne enfin le port, et tout a l’air soudain plus tempéré. Le ciel est chargé, mais je découvre un lieu coloré, une atmosphère feutrée ; c’est le dépaysement que je souhaitais. Nul doute : je ne suis plus sur le continent, tout a un goût bien différent. 

À l’arrivée, je suis gentiment accueillie par Sylvie, qui me conduit ensuite vers le logement qui m’a été proposé. Une maison basse, avec une ossature en bois, à la chaux blanche, édifiée des mains de sa fille, et soigneusement décorée. La maison de Marie, à deux pas du port et de la plage des Bossilles, est inspirante et calme par nature.

Voilà ce que d’emblée j’apprécie : le bleu très pur, l’architecture spécifique et harmonieuse, les toits de tuile, la puissance des éléments, les murs d’un banc presque virginal, les jardins entretenus et fleuris. 

Après de brefs repérages et une balade vivifiante aux abords de l’eau qui claque, je rentre dans cette maison, depuis laquelle j’imagine un artiste se révéler.

La côte Est 

Sur cette île, et selon moi, les vents sont toujours favorables : nul besoin d’avoir défini un programme à l’avance, la journée se construit à l’intuition, au flair, au ressenti. 

Question logistique, tout de même, je commence par louer un vélo chez Yeuloc, et je fais quelques courses, de quoi tenir simplement pendant une petite semaine. 

Mes recherches préalables m’avaient déjà renseignée sur les « incontournables » de l’île, mais je ne voulais pas y aller comme une touriste en vacances, plutôt comme une personne en quête d’un lieu, curieuse et immergée. 

Avec la circulation à vélo, tout est pensé ici pour laisser libre cours à la flânerie, à l’initiative. Les sens, les odeurs, les couleurs, les rencontres, tout nous pousse à prendre cette voie plutôt qu’une autre. Humer les embruns, deviner, s’arrêter, poser le pied, s’égarer et admirer, voilà je pense le credo de cette île. 

C’est en tout cas ce que je comprends dès le premier jour, quand je commence par la côte Est, dunaire et verdoyante. Je devine une succession de rivages sableux, cerclés de forêts de pins et de chênes. Les plages de Ker Châlon, des Sapins, de la Grande Conche, ou encore le marais salé, sont de vastes étendues, désertes en cette période, à la fois réconfortantes et stimulantes.

Le deuxième jour, je déambule par des chemins de traverse, en direction de l’église de St Sauveur, et puis j’emprunte la route de la Croix vers la Meule, son port et surtout sa chapelle, qui, depuis son écrin de verdure, domine et nargue le grand large.

Même avec un sens de l’orientation défaillant, les dolmens et autres menhirs qui parsèment l’île servent de repérage et de point d’ancrage : il n’y a donc aucune chance de se perdre. Chaque piste cyclable nous emmène sans que nous le sachions vers d’autres trouvailles, plus riches les unes que les autres. 

Aussi, il y a toujours un sentier qui nous raccompagne vers Port-Joinville et son émulation, le port symbole d’un haut lieu de ralliement. Par tous les temps, même au creux de l’hiver me dit-on, les terrasses se remplissent : la Cabane sur le port, la Plancha du pêcheur, la Crêperie bleue, le Maritime…

Rien n’empêche les uns de rejoindre les autres, rien n’empêche l’un de s’asseoir pour contempler, ni l’autre de spéculer sur les retours de pêche. 

Ce sont les retrouvailles qui priment, l’entre-soi.

La côte sauvage

À l’ouest, vers la Pointe du But, c’est un littoral plus sauvage, autrement plus granitique, entre falaises et éperons rocheux, qui m’entraîne en direction du Vieux-Château. Forteresse dressée à l’aube de la Guerre de Cent Ans, dans un environnement naturel exceptionnel, le Vieux-Château dompte la Côte de Lumière et se veut le gardien ancestral de l’île.

Comme par magie, quelques criques isolées au sable brun doré apparaissent en contrebas, offrant un panorama à la lumière étincelante. C’est ainsi que je découvre les sites de Belle-Maison, les plages des sables Rouis et des Sabias, pour des instants suspendus. 

Sud de l’île

Je poursuis vers le Sud de l’île, et je réalise que je n’avais encore rien vu. Voilà que se dévoile la plage des Soux, une anse de sable fin et d’eau turquoise, un éden caché. Je me retrouve seule devant tant de beauté, avec le silence pour seule compagnie. 

La contemplation, voilà certainement le maître-mot de mon séjour : à vélo, à pied, ou assise, j’observe la vie se dérouler. Il flotte comme un air de vacances permanent, mais ne nous y méprenons pas ; chacun s’adonne à sa mission personnelle : jardinage, restauration, travaux, construction, commerces… 

Je dois d’ailleurs souligner ici le savoir-faire des Islais en matière de décoration florale et de jardinage : les hortensias et autres fleurs marines, parfaitement taillées, s’adossent aux murs des maisons pour leur donner un aspect si particulier, orné.

Les commerces et devantures

Que dire aussi des devantures qui incitent au détour ; des habitations qui ont l’eau en toile de fond, et de grandes fenêtres propices à l’inspiration. 

Les gens peignent, lisent et écrivent. Les gens créent, fabriquent et façonnent ; comme le montrent les différentes galeries d’art et ateliers. Nombre d’artistes viennent ici pour les couleurs qui se mélangent, pour les nuances, pour cette façon singulière de décorer le temps et l’espace.

Le petit bourg de St Sauveur me voit passer plusieurs fois, d’abord pour ses ruelles et ses maisons colorées, mais aussi pour sa pâtisserie Mousnier, sa tarte aux pruneaux et ses betchets ; et enfin pour son sublime hôtel 4 étoiles nouvellement construit. Lieu de vie, de partage et de rencontres, avec ses tons blanc et rouge éclatants, La Mission se veut authentique et sophistiqué à la fois, empreint d’une histoire passée, que le personnel a eu à coeur de me partager.

Voyager seule, c’est accéder à l’autre très facilement : aux terrasses des cafés, dans le refuge d’un bar de caractère : « à l’abri des coups de mer », en balade, ou lorsque je pédale, on m’aborde et me questionne, on me raconte l’histoire de l’île, ses conserveries et ses secrets. On se dit « hors de la France, à part » ; et je ne peux qu’approuver.

Souvent, à l’heure du déjeuner, comme je prends peu de place, on me réserve toujours une petite table dans le coin, à l’abri de la foule, qui me permet de m’appesantir sur les détails, d’écouter d’autres vies que la mienne, d’apprécier ce paysage grisant. 

Au coeur de la fameuse crêperie Chez Martin ou au sein du bistrot Le Navigateur, la cuisine est délicate, et l’accueil est suave.

La gentillesse et la simplicité des Islais me confortent dans l’idée que l’insulaire peut être solitaire et engageant à la fois. 

Les villages de pêcheurs, les grands phares, les maisons basses à la chaux blanche, les volets colorés, les sites classés, les oiseaux marins, l’odeur iodée, la propreté de l’île, sont autant d’atouts qui lui confèrent cette ambiance exclusive, distinctive.

Sur cette terre de marins aux airs du bout du monde, rien n’est enclavé, fermé, étouffé. Tout semble ouvert et facilité, les échanges comme le quotidien. 

L’île d’Yeu a gardé l’élan des commencements, elle a l’étoffe d’une grande, d’une alcôve protectrice. 

De chacun se dégage une fierté d’appartenance, une mission de préservation ; comme si l’île pouvait se dérober au simple toucher. C’est une île défendue ; puisse-t-elle rester longtemps abritée, exemptée d’arrivées massives.

L’île d’Yeu : les mots de la fin

Au cours de mon séjour, je retrouve Sylvie sur le port pour qu’elle me partage sa vision. Cette île de seulement 23 km2 compte 5000 âmes à l’année, contre environ 35000 l’été ; ce qui change forcément la perception des locaux quant au sujet du tourisme de masse. Il y a d’ailleurs une capacité d’hébergements restreinte pour les gens de passage : un seul camping, et peu d’hôtels, ce qui renforce le côté intimiste. Selon leurs dires : « l’île est magique à tout moment de l’année, il faut inciter au tourisme hors saison ».

Historiquement, l’île d’Yeu était plutôt matriarcale dans son système de fonctionnement : les hommes étaient rarement présents, les femmes travaillaient dans les conserveries de thon et cultivaient la terre. Aussi, les bateaux rapides à fond plat n’existaient pas, ce qui limitait fortement les déplacements sur le continent.

Aujourd’hui, la commune a de nombreux projets, et beaucoup de choses à raconter. La transmission du patrimoine gastronomique, historique et maritime, reste un enjeu majeur, tout comme l’obtention d’une certaine autarcie. 

La pêche était, est encore aujourd’hui, l’activité majeure de l’île, avec le thon germon comme spécialité, ainsi que les patagos (espèce de mollusques bivalves, semblable à des palourdes).

Le Musée de la Pêche, animé par des bénévoles passionnés, se situe dans l’Abri du Marin, un bâtiment construit en 1931 qui servait de refuge aux marins. Par son architecture, il était facilement repérable depuis le port.

Enfin, être Islais, c’est aussi et surtout être flexible, savoir s’adapter, toucher un peu à tout, à tous corps de métier.

Ceci est l’essence-même de l’île, qui a su se différencier par son ADN pleinement insulaire.

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